Data vs Intuition

Au sport, en cuisine, dans l’art ou ailleurs, le cerveau acquiert, avec le temps et la pratique, une capacité d’intuition qui dépasse les limites de sa propre expérience. Un excellent cuisinier aura souvent l’intuition de nouvelles associations. Une joueuse de tennis optera pour un enchainement inédit, sur base du contexte immédiat. Le trompettiste de jazz crée son solo sur le moment même, selon les contraintes et la structure qui lui sont données.

Il n’y a pas de raison de croire qu’un processus similaire ne puisse avoir lieu dans le monde des entreprises. On parle d’ailleurs (trop) souvent de certains entrepreneur.e.s de génie.

Or, aujourd’hui, c’est toujours la donnée qui prime, qui est seule source acceptable de décision. Et oui, évidemment, les données devraient idéalement toujours être la source première de toute décision. Mais quand la donnée est inexistante, ou trop complexe et longue à obtenir, pourquoi favoriser le statu quo, et ne pas faire confiance à l’intuition des gens du métier ? L’intuition n’est pas une fonction aléatoire de toutes les décisions possibles. C’est le résultat d’un savant mélange d’expériences et de contextes, élaboré par plusieurs milliards de neurones.

C’est infaillible ? Non. Mais c’est parfois la meilleure option disponible.

Vivre longtemps

Simplifions. Une semaine contient 168 heures. Nous dormons 8 heures par jour (oui oui, toi tu peux dormir que 5h par nuit. Lis ça et tais-toi). Il reste donc 112 heures éveillées. Considérons ensuite que nous travaillons 40 heures par semaine, temps qui, par définition, restreint notre liberté. Il nous reste donc 72 heures de liberté par semaine (chers jeunes parents, j’entends volontiers vos doutes quant à cette définition de liberté).

Dans la plage 25-65 ans, nous avons donc 116,480 heures de sommeil, 83,200 heures de travail et 149,760 heures libres. Après 65 ans, chaque année offre 5,824 heures libres. Ce sont principalement pendant ces heures dites libres que nous vivons.

On nous dit souvent, certainement à raison, au moins partiellement, que si on vit aussi longtemps aujourd’hui, c’est grâce à toute l’innovation (médicale, sociétale, chimique, …). Cette innovation est un des produits des heures de travail abattues entre 25 et 65 ans.

Mais si chaque année post-65 ans vaut 6,000 heures, jusqu’à quel point devons-nous perdre des heures de la tranche 25-65 pour augmenter cette espérance de vie ? En d’autres termes, à quoi ressemble la fonction (certainement non linéaire) faisant le lien entre heures de travail en X et années supplémentaires de vie en Y ? Jusqu’où faut-il aller sur la courbe ? Réduire les 83,200 heures de travail ne serait-il pas une option viable pour virtuellement augmenter notre durée de vie ? C’est ce qu’une citation faussement attribuée à Abraham Lincoln stipule : “It’s not the years in your life that count. It’s the life in your years.”. Il y a matière à réfléchir.

Il faut travailler !

“Il faut travailler au moins 8 heures par jour !”

Les personnes énonçant cette phrase (ou n’importe quel équivalent) peuvent être divisé en deux catégories.

Les réalistes (ou pessimistes ?)

Ils reconnaissent volontiers que ce serait agréable de pouvoir réduire leur temps de travail. Que ça n’a pas beaucoup de sens, ce qu’on fait. Y compris ceux qui adorent ce qu’ils font, vu que “pouvoir réduire” ne veut pas dire “devoir réduire”.

Mais ils sont “réalistes”, ils pensent que ce n’est pas réellement possible dans la société actuelle. Que le contexte actuel fait que c’est inévitable, ou que la marge de changement est minuscule. Qu’il faut que chacun s’acquitte de son travail pour soutenir nos niveaux de vies moyens.

Cette position ouvre à de très intéressants et sains débats.

Les frustrés

Ils refusent de dire que ce qu’on fait est étrange. S’évertuent à dire que c’est parfaitement normal (voire désirable) qu’on bosse autant. Refusent même d’initier l’expérience de pensée d’un monde plus libre, si on pouvait le reconstruire de rien.

C’est simple : le travail assoit leur position sociale. Ils acceptent de fondamentalement perdre leur temps à travailler pour quelqu’un d’autre (ou pour rien) pour le statut social que ça leur procure. C’est la seule chose qui assouvit un absurde besoin de se sentir comme membre d’une classe supérieure.

Faites l’amour, faites du sport, lisez, mangez mieux, buvez du bon vin avec de vrais amis. Bref, lancez le projet “vivre bien avec soi-même”. Ca urge.

Éloge de l’incertitude

La société aime faire un lien proportionnel entre la certitude d’un propos et l’intelligence de la personne qui le déblatère. Le rapport est simple : quand tu doutes*, ça donne une impression de faiblesse (d’esprit et plus); quand tu parles de manière péremptoire, ça donne une impression d’expertise.

Le mot-clé, c’est “impression”. Parce que par définition, une impression est une projection. D’encre sur une feuille, souvent, ou, comme ici, d’un manque de confiance en soi sur autrui. Une impression n’est donc qu’une visualisation biaisée et simplifiée d’une (possible) réalité sous-jacente. Il est souvent intéressant de la déconstruire pour voir ce qu’il y a derrière.

Alors commençons par nous amuser à détecter et exposer les “experts” coupables d’ultracrépidarianisme, qui, étant donné l’effet Dunning-Kruger, représentent une partie non négligeable des “gens qui affirment”. Bref, s’amuser à faire tomber de leur piédestal ceux qui “savent” sans savoir.

Plus essentiellement, apprenons à célébrer l’incertitude. Parce que quelqu’un qui doute de ce qu’il dit, c’est la manifestation de son intelligence qui entrevoit déjà les possibles failles de son discours, les différents contextes qui pourraient changer son affirmation, les zones d’ombre à éclaircir pour préciser son propos. Et puis, tout simplement parce que l’incertitude ouvre à la discussion et à la découverte.

* Le mot “incertitude” du titre indique bien qu’il est ici question d’hésitation, voire de tâtonnement, précisément ce qui nourrit la méthode scientifique. Pas de douter de ce qui est testé et re-testé, et donc parfaitement connu (la vitesse de la lumière dans le vide, les bienfaits de la vaccination ou l’absence de crème dans la carbonara)