La vie est un casino

En statistique, une simple équation permet de quantifier la récompense minimale à partir de laquelle un pari vaut la peine d’être tenté1 :

Reward * Probability >= Risk

Dans la vie de tous les jours, c’est pas toujours utile. On parie, au sens large du terme, rarement sur des trucs aussi clairs qu’un pile ou face. L’astuce serait alors, pour les situations plus normales de la vie, à inverser l’équation :

Probability >= Risk / Reward

Il suffit alors d’estimer la probabilité minimum à partir de laquelle cela vaut la peine de tenter le coup, et d’utiliser son bon sens pour voir si cela parait raisonnable. Si je prends un simple exemple de location de voiture, imaginons qu’une assurance de 100€ (Risk) permette de diminuer la franchise de 1000€ (Reward). La probabilité d’accident doit donc être d’au moins 10% pour que cela soit un pari “équitable” : probablement pas le cas dans sa ville, possiblement dans un pays qui roule à gauche.

Un (trop) simple outil à garder en poche de temps en temps, que ce soit pour prendre des décisions un tant soit peu, ou en post-rationaliser d’autres, qu’elles furent bonnes ou mauvaises.

  1. À la roulette, par exemple, miser sur un numéro permet de remporter 36 fois sa mise. Or, le “0” fait que la probabilité est de 1/37. Donc : Probabilité (1/37) < Risk/Reward (1/36). Étonnamment pas un pari bon à prendre… ↩︎

Un boussole de vie

Dans une de ses excellentes newsletters, “Range Widely”, David Epstein explique :

I switched from a manual to an electric toothbrush. It has a feature where if you’re brushing too forcefully, it alters the vibrations to signal that you should chill out a little. […] immediately I realized that when I was on the road to give a talk, the thing was vibrating like a maniac. […] I definitely wasn’t trying to do that, and would not have been conscious of it if not for that chill-out warning. […] Once I recognize it, it’s not too hard to step back and recenter, and loosen my grip. […] I had to implement check-in systems.

De manière similaire, je pense qu’il est nécessaire de se créer un “check-in system” pour se prémunir contre les périodes de vie particulièrement “hors équilibre”.

Dans une vie, l’humeur d’une personne varie régulièrement, pouvant aller de dépression sévère à euphorie totale. C’est une forme d’homéostasie de l’humeur, processus de régulation pouvant bien entendu se déregler, temporairement ou non, suite à des évènements, l’ingestion de substances ou autre. Ce qui veut dire que l’humeur d’une personne varie constamment au sein d’un spectre, pouvant donc être représentée par le pendule ci-dessous. Et avec l’humeur varie similairement le résultat de ses décisions et ses actes. Souvent, à humeur extrême, décision extrême.

La partie verte représente la forme “stable” de la personne, dans laquelle ses décisions peuvent être considérées comme cohérentes et prévisibles, lui permettant ainsi de continuer sa vie dans la direction souhaitée. La partie jaune, au contraire, est une zone “instable”, dans laquelle la personne ne raisonne plus correctement, impactant ainsi potentiellement des choix effectués au préalable dans son état stable.

Pour éviter de s’auto-dérailler lors de périodes instables, un simple “check-in system” consiste à mettre sur papier ses objectifs et ses domaines prioritaires de vie à moyen-terme (1-2 ans par exemple), qui deviendront la boussole, le guide des mois à venir. Il est indispensable de prendre le temps de définir ce guide en plusieurs sessions itératives avant de le clôturer, afin d’être certain qu’il représente correctement le “soi en zone verte”. Ne rien vouloir y changer lors de plusieurs sessions de réflexion successives est une bonne règle de clôture.

Une fois clôturé, ce guide de vie devient le check-in system du niveau de son pendule. Toute réflexion, envie ou autre qui entre en conflit avec ce guide permet de tirer la sonnette d’alarme que non seulement l’humeur actuelle n’e semble pas n’est pas propice à une prise de décision mais surtout qu’il semble important de chercher à en comprendre les raisons.

Bien choisir ses moments de vie

Soit un moment une période dans le temps définie entre un instant t et un instant t+T, et durant laquelle une personne exerce, et est donc acteur, ou observe, et est donc spectateur, une activité particulière sans interruption,

Soit une motivation intrinsèque une raison propre à soi d’exercer une activité, procurant un plaisir indépendant de conditions extérieures,

Soit une motivation extrinsèque une raison d’exercer une activité venant du dehors, procurant un plaisir (partiellement ou entièrement, voir graphe) dépendant de l’effet procuré sur autrui,

Alors, je postule que le bonheur d’un moment est plus durable1, bien que pas nécessairement plus intense, lorsque celui-ci est vécu en tant qu’acteur plutôt que spectateur et avec une motivation intrinsèque plutôt qu’extrinsèque. Il en résulte que pour s’assurer une vie durablement heureuse, il est nécessaire de favoriser les moments de vie selon l’ordre de priorité suivant, sur base du graphe ci-dessous :

  • Cadran en haut à gauche (1)
  • Cadran en bas à gauche (3)
  • Cadran en haut à droite (2)
  • Cadran en bas à droite (4)

En gros, vous serez (plus ?) heureux plus longtemps si vous passez votre vie à jouer avec vos enfants et à développer des projets que si vous suivez les instructions d’un patron et passez vos week-ends à regarder d’autres gens jouer au foot. Révolutionnaire!

Bref, bien que ce soit tentant, il serait sans doute exagéré d’essayer de chiffrer le temps minimum à passer dans chaque cadran ou paire de cadrans (du type 1+2 > 50% & 1+3 > 50%). Alors gardons juste ce graphe comme un outil intéressant à garder en tête pour naviguer la vie.

  1. Le bonheur durable est probablement à définir en prenant en compte la durée de l’impact positif d’un moment, selon le même paradigme que définit dans les posts “Sur le bonheur↩︎

Fais ce que tu aimes.

Dans un post précédent, l’idée d’aimer ce qu’on fait, le plus objectivement possible, est définie comme un baromètre pour atteindre un niveau de qualité suffisant aux yeux d’autres éventuels “juges”. Cette thèse nécessite d’être précisée plus en détail.

Pour cela, commençons par citer Adam Moss lors de sa récente discussion avec Ezra Klein, et particulièrement le cycle itératif de création “Imagine, Judge, Refine” qu’il y mentionne. Et groupons les étapes 1 et 3 sous la bannière de la “capacité à effectuer”. On a donc, pour soutenir notre thèse initiale, deux sous-aspects fondamentaux : la capacité à évaluer correctement son travail (“Judge”) et la capacité à créer une oeuvre de la qualité minimale recherchée (“Imagine” & “Refine”).

Particulièrement, c’est la mention de la capacité à évaluer qui était absente du post précédent. Or, pour nourrir la création, et ainsi faire de ce qu’on aime quelque chose d’attractif pour autrui, cette capacité doit être soutenue par un sens du “bon goût”1 particulièrement aiguisé, ce qui implique un travail sur deux dimensions, étroitement liées :

  1. Une confiance en son propre jugement, en son propre ressenti émotionnel face à un ouvrage. C’est ce que Adam Moss mentionne en discutant de son travail passé d’éditeur d’articles de journaux.
  2. Une familiarisation avec les chefs-d’oeuvre du passé pour nourrir son sens du goût avec ce qui a repoussé les limites de la création humaine. C’est ce que Cal Newport propose (“Improve your taste”) dans son dernier livre, “Slow Productivity”, et qui fait écho à ce que Rick Rubin conseille2 dans sa discussion avec, encore lui, Ezra Klein. C’est sans doute l’unique façon d’étendre notre propre champs des possibles, intimement lié à cette idée de création et de jugement de “valeur”.

La possibilité de créer en se fiant à “ce qu’on aime”, et donc de faire ce qu’on aime avec succès (peu importe la définition du terme) nécessite donc de (1) repousser la barre de ce qu’on considère comme, virtuellement, 100% de la qualité imaginable (“Judge”), et de (2) développer les capacités permettant d’augmenter le niveau de ce qu’on produit sur cette échelle (“Imagine” & “Refine”).

Il reste alors la question, dans le cycle “Imagine, Judge, Refine”, de quand s’arrêter. Que ce soit par une qualité jugée comme suffisante, par la limitation de notre capacité à l’améliorer, par le besoin de passer à autre chose ou autre. Cela dépend certainement du type d’ouvrage en cours de création. Là ne réside sans doute pas la question essentielle : c’est l’immersion dans le processus en lui-même qui importe, pas ce qu’il finit par produire.

  1. Où le goût s’entend comme défini par le Larousse : “capacité à discerner ce qui est beau ou laid selon les critères qui caractérisent un groupe, une époque, en matière esthétique↩︎
  2. Notons qu’il conseille particulièrement de ne pas se limiter à son propre domaine dans cet exercice de familiarisation. Il faut impérativement se nourrir de ce qui a été fait ailleurs. Cela rejoint certainement ce que Erza Klein mentionne dans sa discussion avec Adam Moss : “It made me think of Steven Johnson’s book, “Where Good Ideas Come From.” And one of his arguments in that book is that great ideas often come from adjacency. Somebody knows a lot about a domain and then looks over into the next domain and applies it↩︎

150 ans plus tôt, tout était dit.

CITOYENS,

Notre mission est terminée ; nous allons céder la place dans votre Hôtel-de-Ville à vos nouveaux élus, à vos mandataires réguliers. Aidés par votre patriotisme et votre dévouement, nous avons pu mener à bonne fin l’œuvre difficile entreprise en votre nom. Merci de votre concours persévérant ; la solidarité n’est plus un vain mot : le salut de la République est assuré.

Si nos conseils peuvent avoir quelque poids dans vos résolutions, permettez à vos plus zélés serviteurs de vous faire connaître, avant le scrutin, ce qu’ils attendent du vote aujourd’hui.

CITOYENS,

Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux.

Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne considèrent que leurs propres intérêts et finissent toujours par se considérer comme indispensables.

Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un discours, à un effet oratoire ou à un mot spirituel. Évitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère.

Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.

Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considéreront jamais comme vos maîtres.

— Hôtel-de-Ville, 25 mars 1871. Le Comité central de la Garde nationale

Data vs Intuition

Au sport, en cuisine, dans l’art ou ailleurs, le cerveau acquiert, avec le temps et la pratique, une capacité d’intuition qui dépasse les limites de sa propre expérience. Un excellent cuisinier aura souvent l’intuition de nouvelles associations. Une joueuse de tennis optera pour un enchainement inédit, sur base du contexte immédiat. Le trompettiste de jazz crée son solo sur le moment même, selon les contraintes et la structure qui lui sont données.

Il n’y a pas de raison de croire qu’un processus similaire ne puisse avoir lieu dans le monde des entreprises. On parle d’ailleurs (trop) souvent de certains entrepreneur.e.s de génie.

Or, aujourd’hui, c’est toujours la donnée qui prime, qui est seule source acceptable de décision. Et oui, évidemment, les données devraient idéalement toujours être la source première de toute décision. Mais quand la donnée est inexistante, ou trop complexe et longue à obtenir, pourquoi favoriser le statu quo, et ne pas faire confiance à l’intuition des gens du métier ? L’intuition n’est pas une fonction aléatoire de toutes les décisions possibles. C’est le résultat d’un savant mélange d’expériences et de contextes, élaboré par plusieurs milliards de neurones.

C’est infaillible ? Non. Mais c’est parfois la meilleure option disponible.

Vivre longtemps

Simplifions. Une semaine contient 168 heures. Nous dormons 8 heures par jour (oui oui, toi tu peux dormir que 5h par nuit. Lis ça et tais-toi). Il reste donc 112 heures éveillées. Considérons ensuite que nous travaillons 40 heures par semaine, temps qui, par définition, restreint notre liberté. Il nous reste donc 72 heures de liberté par semaine (chers jeunes parents, j’entends volontiers vos doutes quant à cette définition de liberté).

Dans la plage 25-65 ans, nous avons donc 116,480 heures de sommeil, 83,200 heures de travail et 149,760 heures libres. Après 65 ans, chaque année offre 5,824 heures libres. Ce sont principalement pendant ces heures dites libres que nous vivons.

On nous dit souvent, certainement à raison, au moins partiellement, que si on vit aussi longtemps aujourd’hui, c’est grâce à toute l’innovation (médicale, sociétale, chimique, …). Cette innovation est un des produits des heures de travail abattues entre 25 et 65 ans.

Mais si chaque année post-65 ans vaut 6,000 heures, jusqu’à quel point devons-nous perdre des heures de la tranche 25-65 pour augmenter cette espérance de vie ? En d’autres termes, à quoi ressemble la fonction (certainement non linéaire) faisant le lien entre heures de travail en X et années supplémentaires de vie en Y ? Jusqu’où faut-il aller sur la courbe ? Réduire les 83,200 heures de travail ne serait-il pas une option viable pour virtuellement augmenter notre durée de vie ? C’est ce qu’une citation faussement attribuée à Abraham Lincoln stipule : “It’s not the years in your life that count. It’s the life in your years.”. Il y a matière à réfléchir.

Il faut travailler !

“Il faut travailler au moins 8 heures par jour !”

Les personnes énonçant cette phrase (ou n’importe quel équivalent) peuvent être divisé en deux catégories.

Les réalistes (ou pessimistes ?)

Ils reconnaissent volontiers que ce serait agréable de pouvoir réduire leur temps de travail. Que ça n’a pas beaucoup de sens, ce qu’on fait. Y compris ceux qui adorent ce qu’ils font, vu que “pouvoir réduire” ne veut pas dire “devoir réduire”.

Mais ils sont “réalistes”, ils pensent que ce n’est pas réellement possible dans la société actuelle. Que le contexte actuel fait que c’est inévitable, ou que la marge de changement est minuscule. Qu’il faut que chacun s’acquitte de son travail pour soutenir nos niveaux de vies moyens.

Cette position ouvre à de très intéressants et sains débats.

Les frustrés

Ils refusent de dire que ce qu’on fait est étrange. S’évertuent à dire que c’est parfaitement normal (voire désirable) qu’on bosse autant. Refusent même d’initier l’expérience de pensée d’un monde plus libre, si on pouvait le reconstruire de rien.

C’est simple : le travail assoit leur position sociale. Ils acceptent de fondamentalement perdre leur temps à travailler pour quelqu’un d’autre (ou pour rien) pour le statut social que ça leur procure. C’est la seule chose qui assouvit un absurde besoin de se sentir comme membre d’une classe supérieure.

Faites l’amour, faites du sport, lisez, mangez mieux, buvez du bon vin avec de vrais amis. Bref, lancez le projet “vivre bien avec soi-même”. Ca urge.

Éloge de l’incertitude

La société aime faire un lien proportionnel entre la certitude d’un propos et l’intelligence de la personne qui le déblatère. Le rapport est simple : quand tu doutes*, ça donne une impression de faiblesse (d’esprit et plus); quand tu parles de manière péremptoire, ça donne une impression d’expertise.

Le mot-clé, c’est “impression”. Parce que par définition, une impression est une projection. D’encre sur une feuille, souvent, ou, comme ici, d’un manque de confiance en soi sur autrui. Une impression n’est donc qu’une visualisation biaisée et simplifiée d’une (possible) réalité sous-jacente. Il est souvent intéressant de la déconstruire pour voir ce qu’il y a derrière.

Alors commençons par nous amuser à détecter et exposer les “experts” coupables d’ultracrépidarianisme, qui, étant donné l’effet Dunning-Kruger, représentent une partie non négligeable des “gens qui affirment”. Bref, s’amuser à faire tomber de leur piédestal ceux qui “savent” sans savoir.

Plus essentiellement, apprenons à célébrer l’incertitude. Parce que quelqu’un qui doute de ce qu’il dit, c’est la manifestation de son intelligence qui entrevoit déjà les possibles failles de son discours, les différents contextes qui pourraient changer son affirmation, les zones d’ombre à éclaircir pour préciser son propos. Et puis, tout simplement parce que l’incertitude ouvre à la discussion et à la découverte.

* Le mot “incertitude” du titre indique bien qu’il est ici question d’hésitation, voire de tâtonnement, précisément ce qui nourrit la méthode scientifique. Pas de douter de ce qui est testé et re-testé, et donc parfaitement connu (la vitesse de la lumière dans le vide, les bienfaits de la vaccination ou l’absence de crème dans la carbonara)

Sur le bonheur (2)

La majorité des moments plaisants que nous vivons (B(T)>0) nécessite de l’investissement (temporel, financier, …) en aval et/ou en amont, que ce soit un trajet, un babysitting ou autre. Bref, à presque tout B(T)>0 correspond un B(T-e)<0 et/ou B(T+e)<0.

Or, comme nous l’avons vu, notre objectif est de maximiser la surface de notre courbe H, et il est donc important de connaitre les caractéristiques de la fonction de transfert entre B et A, afin de prendre une décision quant à ces potentiels moments B. L’investissement en vaut-il la chandelle ? Continuer à lire